Accompagner à l'autonomie
Si le concept de citoyenneté exprime un idéal, une destination collective, celui d’autonomie désigne le chemin et les étapes à parcourir.
L’autonomie peut concerner tout simplement le pouvoir matériel d’agir – les défis les plus complexes peuvent se nicher derrière les gestes courants de la vie quotidienne. Aides humaines, aides à la communication, rééducations, équipements et aides techniques, appel aux nouvelles technologies, aménagement des postes et des environnements, soutien des aidants constituent autant de registres de compensation à envisager.
Au-delà des aspects matériels la question de l’autonomie se pose également en termes psychologiques ou cognitifs. Prendre le bus, aller au cinéma, faire les courses et la cuisine, voir des amis, tenir une discussion, dépasser sa peur de prendre un ascenseur, ou encore créer une entreprise, s’exprimer en public. Autant de démarches qui, pour beaucoup de personnes en situation de handicap, nécessitent des aides, des accompagnements spécifiques, des apprentissages différents, adaptés ou plus longs que pour d’autres.
Pour les intervenants et les aidants, la posture d’accompagnement à l’autonomie est bien spécifique. Il ne s’agit pas de prendre en charge ce que les personnes ne peuvent pas faire, de « faire à la place de » ; il s’agit également de les aider à repousser les frontières, à développer leurs capacités, à se prendre en charge elles-mêmes dans la mesure de leurs possibilités.
La diversité des situations individuelles, pour les personnes handicapées comme pour les autres, est infinie ; accompagner ne peut se concevoir dans un cadre où l’intervention serait entièrement normée, prédéfinie suivant des désignations administratives. Accompagner implique un effort de compréhension, d’adaptation, d’ajustement aux besoins et aux possibilités de chacun. Cela fait appel à l‘imagination, à la créativité, à la co-création avec la personne accompagnée pour mettre en place des stratégies de compensation. Cela exige probablement aussi, pour les acteurs impliqués, de nouvelles formes d’organisation. Les expérimentations de la fonction « d’assistant au projet de vie », de pairémulation, de réfèrent facilitateur ou encore de case-manager sont, en ce sens, prometteuses.
Grandir en autonomie est une source vitale de sens et d’épanouissement. Chacun, quelle que soit sa situation de départ, peut et doit se voir offrir des opportunités de progresser dans cette optique.
DONNER AUX ENSEIGNANTS LES CAPACITÉS D’ACCOMPAGNER
Pour enseigner aux enfants handicapés chaque enseignant doit faire appel aujourd’hui à son expérience et à ses ressources personnelles. Comment bien accompagner en classe un enfant avec des troubles du spectre de l'autisme, des troubles du comportement, des troubles dys, une déficience intellectuelle ou un handicap psychique, des incapacités sensorielles ? Des « banques de ressources », référentiels méthodologiques, outils, matériaux pédagogiques sont à développer et surtout, à mettre à la disposition de chacun avec un accès facile.
Les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) sont ici détenteurs d’une expertise à valoriser et à diffuser. Les fonctionnements en partenariat avec les écoles permettent de proposer des parcours « à la carte », adaptés aux besoins de chacun.
Dans ce système scolaire, la montée en compétence des AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap, anciennement dénommés AVS) est à poursuivre, en parallèle à celle des enseignants. L’accompagnement des enfants handicapés à l’école est un vrai métier, qui nécessite une véritable expertise à reconnaître, développer et partager.
Enfin, des outils numériques facilitent le travail de l’enseignant pour certains handicaps : par exemple, les tablettes numériques offrent une alternative efficace à la prise de notes et à la saisie de réponses.
ACCOMPAGNER LES HABITATS INCLUSIFS
Les projets d’habitat inclusif mettent tout particulièrement en question l’organisation et la conception des interventions professionnelles. Il s’agit de développer une posture d’aide, de ressource, de facilitation pour permettre à chaque personne de progresser en autonomie dans un environnement beaucoup moins encadré que dans les solutions d’hébergement collectif.
Habiter chez soi demande d’abord des aménagements matériels, des aides techniques pour que chacun puisse réaliser simplement les gestes de la vie quotidienne. Pour beaucoup, cela demande également le développement de compétences cognitives ou sociales.
Car habiter chez soi ne veut pas dire habiter seul, hors-sol, mais bien habiter avec les autres et au sein d’une cité. L’accompagnement à l’autonomie ne relève pas explicitement des institutions existantes ; les personnes elles-mêmes, leurs proches ou leurs parents s’en chargent.. ou pas. Identifier les opportunités, les choisir, se déplacer, se présenter, rechercher le cas échéant des aides appropriées, une offre d’accompagnement à tout cela est nécessaire. Des formations à l’autonomie, comme certains pionniers associatifs les ont rêvées et réalisées, sont indispensables. La personne handicapée apprend à gérer seule ou accompagnée l’ensemble des paramètres de sa vie en autonomie, et bien évidemment la gestion de ses aidants professionnels.
Car l’habitat inclusif pose la question du « millefeuille » d’intervenants... lorsqu’ils sont présents sur le territoire. SAMSAH (Service d’accompagnement médico-social pour adulte handicapé), SAVS (Service d’accompagnement à la vie sociale), SSIAD (Service de soins infirmiers à domicile, SAAD (Service d'aide et d'accompagnement à domicile), HAD (Hospitalisation à domicile). Si une théorie d’intervenants défile chez soi, qui plus est dans des tranches horaires imposées, alors ce n’est plus vraiment « chez soi ». Quel que soit le contexte réglementaire, l’habitat inclusif amène à se poser la question de la coordination des intervenants, de la simplification, voire de leur « fusion » à travers des intervenants capables d’adopter une perspective globale.
A nouveau ici, les solutions technologiques et notamment domotiques peuvent apporter un soutien précieux. Attention cependant aux logiques d’offres trop « poussées », à la surenchère technologique : la technologie n’est qu’un outil, les solutions ne valent qu’en situation, à l’usage, et lorsqu’elles sont pleinement appropriées par les personnes.
ACCÉDER À L’EMPLOI ET S’Y MAINTENIR, QUELLES QUE SOIENT SES CAPACITÉS
Les personnes handicapées sont parmi les plus éloignées du marché de l’emploi, y compris lorsque leur handicap se produit au cours de la vie professionnelle. La formation tout au long de la vie, le maintien, le développement et la validation des compétences sont ainsi pour elles primordiaux. Il est nécessaire que les centres de formation, les acteurs de l’emploi et les entreprises leur ouvrent leurs portes. L’autonomie c’est aussi le droit à la compensation qui touche autant aux aménagements matériels, pédagogiques, qu’organisationnels. Le développement des nouvelles technologies représente une nouvelle opportunité, à condition que ces aides soient adaptées et financièrement accessibles.
Au-delà de son indispensable apport matériel, l’emploi est un véritable facteur de participation sociale et donc d’autonomie dans la cité. C’est une évidence, mais il est parfois bon, dans un contexte économique tendu, de rappeler les évidences. L’accès à l’emploi est une revendication forte, et légitime, des personnes en situation de handicap pour la reconnaissance de leur place dans la société.
Cet accès à l’emploi nécessite une approche fondée sur les compétences individuelles, sur les capacités de contribution de chacun au regard des exigences des postes. Les critères de recrutement, fondés tout particulièrement en France sur les diplômes et les parcours supérieurs, sont trop rigides et inadaptés à la problématique. L’idée n’est pas de trouver un profil Bac + quelque chose qui correspond aux critères préétablis pour un poste à pourvoir, mais plutôt de coconstruire en amont, avec des partenaires externes de l’emploi et/ou des partenaires associatifs, un profil de poste pouvant s’adapter à un profil de candidat. La démarche est certes plus complexe, ne correspond pas toujours au temps de l’entreprise, mais dans ce cas de figure seul le temps long est gage de succès.
Cependant, pour les personnes les plus éloignées de l’emploi dit « ordinaire », les structures telles que les ESAT et les EA devraient développer de manière plus forte des opportunités de reconnaissance des compétences, par exemple à travers des certificats de qualification professionnelle, la valorisation des acquis de l’expérience, des opportunités d’évolution de carrière. Expliquer et illustrer le sens du travail, offrir de la reconnaissance, proposer des opportunités d’évolution et de progrès, est tout aussi nécessaire aux travailleurs d’ESAT qu’aux autres.
Enfin pour ceux qui ne sont pas ou plus en capacité de travailler à plein temps, les solutions mixtes entre production et activités non productives sont trop peu développées. La valorisation sociale du travail, même limité, revêt pour beaucoup une grande importance. Les stratifications administratives entre non-travail, travail dans le secteur handicap, travail en entreprise classique, sont ici à contourner ou à lever. C’est le défi de demain pour offrir des réponses souples et évolutives tant aux travailleurs handicapés qu’aux entreprises.
ÉDUQUER À LA SANTÉ, LA PRÉVENTION ET À L’AVANCÉE EN ÂGE
Dans le domaine des soins, l’autonomie passe notamment par la prévention et le repérage. Les campagnes de prévention atteignent difficilement les personnes en situation de handicap. L’éducation à la santé, couvrant notamment les questions de nutrition, d’hygiène bucco-dentaire, d’exercice physique, de vie affective et sexuelle, est un outil à mobiliser pour la réappropriation par la personne elle-même de son parcours de santé.
L’expression tardive de la douleur, ou sa mauvaise prise en compte, est l’une des difficultés rencontrées concernant le soin des personnes handicapées. La prise en compte de la douleur nécessite des compétences particulières, et la mise en place de dispositifs permettant de faciliter la relation entre patients, soignants et aidants.
De même, le repérage des signes du vieillissement est essentiel. Avec l’avancée en âge, des besoins nouveaux apparaissent, comme par exemple la prévention des chutes à travers la podologie, la prise en compte de l’arthrose, et bien sûr les pathologies neurodégénératives. Il est également important de tenir compte des souhaits des personnes concernant la fin de vie afin de prendre des décisions éclairées.
L’objectif de l’autonomie reste tout aussi pertinent, voire davantage, lorsque celle-ci décline. La valorisation de la personne, le maintien de sa sensation d’utilité sociale, passe par la conquête ou le maintien de territoires concrets d’autonomie : sortir de chez soi et y rentrer, faire les courses, la cuisine, prendre le train, etc. Il n’est pas souhaitable de tout faire pour une personne vieillissante. Le passage à la retraite doit se préparer et permettre à la personne vieillissante de se créer un nouveau réseau social, qu’il soit associatif, culturel ou d’aidance. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication peuvent ici aider à prévenir la potentielle détresse psychologique des personnes.
Le repérage précoce ouvre souvent des perspectives améliorées de remédiation. C’est le cas par exemple, de mieux en mieux compris, pour les troubles du spectre de l'autisme. Le repérage et la prévention reposent sur une variété d’acteurs dans l’environnement de la personne handicapée : équipes médicales et paramédicales mais aussi intervenants médico-sociaux, enseignants, et tout particulièrement les proches aidants.
ACCOMPAGNER LES AIDANTS FAMILIAUX
Acteurs de première ligne de l’accompagnement, experts des situations et des besoins, les aidants jouent un rôle capital dans les équilibres de vie des personnes en situation de handicap ou vieillissantes - dans de nombreux cas ils sont une condition nécessaire d’une vie à domicile de qualité. Ainsi bien accompagner la personne en situation de handicap, c’est également prendre en compte son ou ses proches aidants.
Les aidants sont à accompagner dans la prévention de l’usure et de ses effets, à travers notamment des solutions de relayage et de soutien, mais aussi en les aidant à favoriser l’autonomie de leurs proches.
Ainsi et sans aller jusqu’à la professionnalisation, car ce n’est pas l’objectif, les aidants peuvent apprendre pour améliorer le quotidien des personnes qu'ils accompagnent. Il s’agit ici de développer l’information sur le handicap, les compétences de prévention, les gestes de protection, l’accompagnement à l’autonomie de l’enfant par exemple.
D’expérience cependant, les aidants sont peu disponibles, et peu réceptifs à des formations « génériques » ou trop théoriques ; la formation-émulation par les pairs, l’échange d’expériences et d’informations pratiques à l’échelle des bassins de vie, l’insertion dans des réseaux de parole et de soutien sont plus efficaces. Mais tout ceci doit être, dans la mesure du possible, choisi et non imposé. On a le droit de ne pas vouloir être aidant : il s’agit de trouver un équilibre entre politiques publiques, services professionnels qualifiés et place de l’aidant familial.