Accompagner à l'autonomie

Si le concept de citoyenneté exprime un idéal, une destination collective, celui d’autonomie désigne le chemin et les étapes à parcourir.

L’autonomie peut concerner tout simplement le pouvoir matériel d’agir – les défis les plus complexes peuvent se nicher derrière les gestes courants de la vie quotidienne. Aides humaines, aides à la communication, réédu­cations, équipements et aides techniques, appel aux nouvelles technologies, aména­gement des postes et des environnements, soutien des aidants constituent autant de re­gistres de compensation à envisager.

Au-delà des aspects matériels la question de l’autonomie se pose également en termes psychologiques ou cognitifs. Prendre le bus, aller au cinéma, faire les courses et la cui­sine, voir des amis, tenir une discussion, dé­passer sa peur de prendre un ascenseur, ou encore créer une entreprise, s’exprimer en public. Autant de démarches qui, pour beau­coup de personnes en situation de handicap, nécessitent des aides, des accompagnements spécifiques, des apprentissages différents, adaptés ou plus longs que pour d’autres.

Développer l’empowerment, c’est former les gens à la conscience de leurs capacités, à leur pouvoir d’agir et non pas les enfermer dans la dépendance des professionnels et le lien de soumission qui en découle.
Thomas BOUQUET /
Directeur - CRAIF

Pour les intervenants et les aidants, la pos­ture d’accompagnement à l’autonomie est bien spécifique. Il ne s’agit pas de prendre en charge ce que les personnes ne peuvent pas faire, de « faire à la place de » ; il s’agit également de les aider à repousser les fron­tières, à développer leurs capacités, à se prendre en charge elles-mêmes dans la mesure de leurs possibilités.

La diversité des situations individuelles, pour les personnes handicapées comme pour les autres, est infinie ; accompagner ne peut se concevoir dans un cadre où l’intervention serait entièrement normée, prédéfinie suivant des désignations administratives. Accompa­gner implique un effort de compréhension, d’adaptation, d’ajustement aux besoins et aux possibilités de chacun. Cela fait appel à l‘ima­gination, à la créativité, à la co-création avec la personne accompagnée pour mettre en place des stratégies de compensation. Cela exige probablement aussi, pour les acteurs impli­qués, de nouvelles formes d’organisation. Les expérimentations de la fonction « d’assistant au projet de vie », de pairémulation, de ré­fèrent facilitateur ou encore de case-manager sont, en ce sens, prometteuses.

Grandir en autonomie est une source vitale de sens et d’épanouissement. Chacun, quelle que soit sa situation de départ, peut et doit se voir offrir des opportunités de progresser dans cette optique.

Il faut former les futurs professeurs d’éducation physique qui aujourd’hui dispensent trop facilement les élèves handicapés quand arrive l’heure d’EPS.
Laurent ALLARD /
Directeur général - Fédération Française Handisport

DONNER AUX ENSEIGNANTS LES CAPACITÉS D’ACCOMPAGNER

Pour enseigner aux enfants handicapés chaque enseignant doit faire appel aujourd’hui à son expérience et à ses ressources per­sonnelles. Comment bien accompagner en classe un enfant avec des troubles du spectre de l'autisme, des troubles du comportement, des troubles dys, une déficience intellectuelle ou un handicap psychique, des incapacités sensorielles ? Des « banques de ressources », référentiels méthodologiques, outils, matériaux pédagogiques sont à développer et surtout, à mettre à la disposition de chacun avec un accès facile.

Les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) sont ici détenteurs d’une expertise à valoriser et à diffuser. Les fonctionnements en partenariat avec les écoles permettent de proposer des parcours « à la carte », adaptés aux besoins de chacun.

Dans ce système scolaire, la montée en compétence des AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap, ancienne­ment dénommés AVS) est à poursuivre, en parallèle à celle des enseignants. L’accom­pagnement des enfants handicapés à l’école est un vrai métier, qui nécessite une véritable expertise à reconnaître, développer et partager.

Enfin, des outils numériques facilitent le tra­vail de l’enseignant pour certains handicaps : par exemple, les tablettes numériques offrent une alternative efficace à la prise de notes et à la saisie de réponses.

L’Education nationale n’était pas préparée à l’entrée des enfants en situation de handicap : un enseignant n’est pas formé pour accompagner un enfant en situation de handicap, les AVS ne sont pas formés suffisamment, or ce sont des publics fragiles.
Maud FOUGERE /
Directrice - Foyer et FAM le Temps des amis

ACCOMPAGNER LES HABITATS INCLUSIFS

Les projets d’habitat inclusif mettent tout particulièrement en question l’organisation et la conception des interventions profession­nelles. Il s’agit de développer une posture d’aide, de ressource, de facilitation pour per­mettre à chaque personne de progresser en autonomie dans un environnement beaucoup moins encadré que dans les solutions d’hé­bergement collectif.

Habiter chez soi demande d’abord des amé­nagements matériels, des aides techniques pour que chacun puisse réaliser simplement les gestes de la vie quotidienne. Pour beau­coup, cela demande également le développe­ment de compétences cognitives ou sociales.

Car habiter chez soi ne veut pas dire habiter seul, hors-sol, mais bien habiter avec les autres et au sein d’une cité. L’accompagnement à l’autonomie ne relève pas explicitement des institutions existantes ; les personnes elles-mêmes, leurs proches ou leurs parents s’en chargent.. ou pas. Identifier les opportunités, les choisir, se déplacer, se présenter, recher­cher le cas échéant des aides appropriées, une offre d’accompagnement à tout cela est nécessaire. Des formations à l’autonomie, comme certains pionniers associatifs les ont rêvées et réalisées, sont indispensables. La personne handicapée apprend à gérer seule ou accompagnée l’ensemble des paramètres de sa vie en autonomie, et bien évidemment la gestion de ses aidants professionnels.

Car l’habitat inclusif pose la question du « millefeuille » d’intervenants... lorsqu’ils sont présents sur le territoire. SAMSAH (Service d’accompagnement médico-social pour adulte handicapé), SAVS (Service d’accompagnement à la vie sociale), SSIAD (Service de soins infir­miers à domicile, SAAD (Service d'aide et d'ac­compagnement à domicile), HAD (Hospitalisa­tion à domicile). Si une théorie d’intervenants défile chez soi, qui plus est dans des tranches horaires imposées, alors ce n’est plus vrai­ment « chez soi ». Quel que soit le contexte réglementaire, l’habitat inclusif amène à se poser la question de la coordination des intervenants, de la simplification, voire de leur « fusion » à travers des intervenants capables d’adopter une perspective globale.

A nouveau ici, les solutions technologiques et notamment domotiques peuvent apporter un soutien précieux. Attention cependant aux logiques d’offres trop « poussées », à la surenchère technologique : la technolo­gie n’est qu’un outil, les solutions ne valent qu’en situation, à l’usage, et lorsqu’elles sont pleinement appropriées par les personnes.

Permettre un accès effectif aux formations de droit commun : l’accessibilité est au coeur de ce sujet, qu’il s’agisse d’accessibilité numérique ou d’accessibilité pédagogique.
Mireille PRESTINI /
Directrice générale - Fédération des Aveugles et Amblyopes de France
Il ne faut pas recréer une filière habitat inclusif. J’ai un peu cette crainte en ce moment. J’ai l’impression qu’on est en train de créer quelque chose qui s’appelle habitat inclusif avec des catégories, des financements bien fléchés mais le droit commun, ce n’est pas forcément ça.
Luc GATEAU /
Président - Unapei

ACCÉDER À L’EMPLOI ET S’Y MAINTENIR, QUELLES QUE SOIENT SES CAPACITÉS

Les personnes handicapées sont parmi les plus éloignées du marché de l’emploi, y com­pris lorsque leur handicap se produit au cours de la vie professionnelle. La formation tout au long de la vie, le maintien, le développe­ment et la validation des compétences sont ainsi pour elles primordiaux. Il est nécessaire que les centres de formation, les acteurs de l’emploi et les entreprises leur ouvrent leurs portes. L’autonomie c’est aussi le droit à la compensation qui touche autant aux amé­nagements matériels, pédagogiques, qu’or­ganisationnels. Le développement des nou­velles technologies représente une nouvelle opportunité, à condition que ces aides soient adaptées et financièrement accessibles.

Au-delà de son indispensable apport maté­riel, l’emploi est un véritable facteur de par­ticipation sociale et donc d’autonomie dans la cité. C’est une évidence, mais il est parfois bon, dans un contexte économique tendu, de rappeler les évidences. L’accès à l’emploi est une revendication forte, et légitime, des personnes en situation de handicap pour la reconnaissance de leur place dans la société.

Cet accès à l’emploi nécessite une approche fondée sur les compétences individuelles, sur les capacités de contribution de chacun au regard des exigences des postes. Les critères de recrutement, fondés tout particulièrement en France sur les diplômes et les parcours supérieurs, sont trop rigides et inadaptés à la problématique. L’idée n’est pas de trouver un profil Bac + quelque chose qui correspond aux critères préétablis pour un poste à pourvoir, mais plutôt de coconstruire en amont, avec des partenaires externes de l’emploi et/ou des partenaires associatifs, un profil de poste pouvant s’adapter à un profil de candidat. La démarche est certes plus complexe, ne correspond pas toujours au temps de l’entre­prise, mais dans ce cas de figure seul le temps long est gage de succès.

Cependant, pour les personnes les plus éloi­gnées de l’emploi dit « ordinaire », les structures telles que les ESAT et les EA devraient déve­lopper de manière plus forte des opportunités de reconnaissance des compétences, par exemple à travers des certificats de qualification professionnelle, la valorisation des acquis de l’expérience, des opportunités d’évolution de carrière. Expliquer et illustrer le sens du travail, offrir de la reconnaissance, proposer des oppor­tunités d’évolution et de progrès, est tout aussi nécessaire aux travailleurs d’ESAT qu’aux autres.

Enfin pour ceux qui ne sont pas ou plus en capacité de travailler à plein temps, les solu­tions mixtes entre production et activités non productives sont trop peu développées. La va­lorisation sociale du travail, même limité, revêt pour beaucoup une grande importance. Les stratifications administratives entre non-tra­vail, travail dans le secteur handicap, travail en entreprise classique, sont ici à contourner ou à lever. C’est le défi de demain pour offrir des réponses souples et évolutives tant aux travailleurs handicapés qu’aux entreprises.

Le travail peut améliorer considérablement la santé, l’autonomie des personnes en situation de handicap. Quand on met en place un accompagnement global et individualisé auprès de la personne, on peut la faire monter en compétence et renforcer son autonomie.
Thibaut GUILLUY /
Directeur général - ARES
Il faut aller au-delà du quota des 6 %. Nous sommes favorables à ce que la politique du handicap dans les entreprises soit bien identifiée « politique du handicap » On a eu très peur avec la notion de diversité.
Emmanuel CONSTANS /
Président - LADAPT

ÉDUQUER À LA SANTÉ, LA PRÉVENTION ET À L’AVANCÉE EN ÂGE

Dans le domaine des soins, l’autonomie passe notamment par la prévention et le repérage. Les campagnes de prévention atteignent difficilement les personnes en situation de handicap. L’éducation à la santé, couvrant no­tamment les questions de nutrition, d’hygiène bucco-dentaire, d’exercice physique, de vie affective et sexuelle, est un outil à mobiliser pour la réappropriation par la personne elle-même de son parcours de santé.

L’expression tardive de la douleur, ou sa mauvaise prise en compte, est l’une des difficultés rencontrées concernant le soin des personnes handicapées. La prise en compte de la douleur nécessite des com­pétences particulières, et la mise en place de dispositifs permettant de faciliter la relation entre patients, soignants et aidants.

De même, le repérage des signes du vieillisse­ment est essentiel. Avec l’avancée en âge, des besoins nouveaux apparaissent, comme par exemple la prévention des chutes à travers la podologie, la prise en compte de l’arthrose, et bien sûr les pathologies neurodégénératives. Il est également important de tenir compte des souhaits des personnes concernant la fin de vie afin de prendre des décisions éclairées.

L’objectif de l’autonomie reste tout aussi pertinent, voire davantage, lorsque celle-ci décline. La valorisation de la personne, le maintien de sa sensation d’utilité sociale, passe par la conquête ou le maintien de ter­ritoires concrets d’autonomie : sortir de chez soi et y rentrer, faire les courses, la cuisine, prendre le train, etc. Il n’est pas souhaitable de tout faire pour une personne vieillissante. Le passage à la retraite doit se préparer et permettre à la personne vieillissante de se créer un nouveau réseau social, qu’il soit associatif, culturel ou d’aidance. Les nouvelles technologies de l’information et de la commu­nication peuvent ici aider à prévenir la poten­tielle détresse psychologique des personnes.

Le repérage précoce ouvre souvent des pers­pectives améliorées de remédiation. C’est le cas par exemple, de mieux en mieux compris, pour les troubles du spectre de l'autisme. Le repérage et la prévention reposent sur une variété d’acteurs dans l’environnement de la personne handicapée : équipes médicales et paramédicales mais aussi intervenants médi­co-sociaux, enseignants, et tout particulière­ment les proches aidants.

Il faut faire évoluer les modes de recrutement des entreprises. Elles cherchent toutes, pour schématiser, le fameux Bac+2. Finalement, on s’aperçoit que statistiquement parlant, il y a peu de Bac +2 en situation de handicap : soit ils ont des doubles doctorats, soit ils se sont arrêtés bien avant.
Joëlle DEPUICHAFFRAY /
Responsable mission Handicap - AG2R LA MONDIALE
Si les signaux d’alerte avaient été bien repérés avant, si on les avait bien pris en compte, de nombreuses personnes auraient pu bénéficier de soins - et pas uniquement de traitements médicamenteux - mais de soins de remédiation cognitive et de réhabilitation psychosociale, d’aménagements pédagogiques, de tout ce qui aurait fait que l’irruption de troubles psychiques graves aurait pu être évitée ou considérablement amoindrie.
Roselyne TOUROUDE /
Vice-présidente - UNAFAM

ACCOMPAGNER LES AIDANTS FAMILIAUX

Acteurs de première ligne de l’accompagne­ment, experts des situations et des besoins, les aidants jouent un rôle capital dans les équilibres de vie des personnes en situation de handicap ou vieillissantes - dans de nom­breux cas ils sont une condition nécessaire d’une vie à domicile de qualité. Ainsi bien accompagner la personne en situation de handicap, c’est également prendre en compte son ou ses proches aidants.

Les aidants sont à accompagner dans la prévention de l’usure et de ses effets, à tra­vers notamment des solutions de relayage et de soutien, mais aussi en les aidant à favoriser l’autonomie de leurs proches.

Ainsi et sans aller jusqu’à la professionnali­sation, car ce n’est pas l’objectif, les aidants peuvent apprendre pour améliorer le quotidien des personnes qu'ils accompagnent. Il s’agit ici de développer l’information sur le handicap, les compétences de prévention, les gestes de protection, l’accompagnement à l’autonomie de l’enfant par exemple.

D’expérience cependant, les aidants sont peu disponibles, et peu réceptifs à des formations « génériques » ou trop théoriques ; la forma­tion-émulation par les pairs, l’échange d’expé­riences et d’informations pratiques à l’échelle des bassins de vie, l’insertion dans des réseaux de parole et de soutien sont plus efficaces. Mais tout ceci doit être, dans la mesure du pos­sible, choisi et non imposé. On a le droit de ne pas vouloir être aidant : il s’agit de trouver un équilibre entre politiques publiques, services professionnels qualifiés et place de l’aidant familial.

Il faudrait vraiment pouvoir disposer de cellules d’écoute psychologique pour se dire, voilà, je vis une situation en tant qu’aidant et j’ai besoin à un moment donné d’être écouté parce que je n’en peux plus
Isabelle MUSSEAU AUBRY /
Déléguée nationale au développement de l’action sociale et aux accompagnements - MGEN
Comment mieux intégrer les aidants dans la société ? Comment changer le regard sur les aidants et montrer les initiatives qui se développent un peu partout pour donner envie à d’autres de faire des choses parce qu’il y a des solutions ?
Claudine SARDIER /
Responsable action sociale - AGRICA