Prendre en compte les fragilités

La bientraitance, le souci de protéger les per­sonnes sont des principes acquis pour tous les acteurs. Cependant, et en particulier dans une période de changement, il nous semble que l’évidence de ces principes ne souffre pas d’être réaffirmée.

Chacun emploie sa propre terminologie selon son prisme : personnes à besoins complexes, personnes fragiles, personnes vulnérables, protection. Même si évidemment les mots font sens, et donc font société, ne nous arrêtons pas trop longuement à trouver un consensus ou le bon mot. L’important est la réponse à apporter aux besoins individuels de chaque personne.

Ainsi la transition vers la pleine citoyenne­té, la dynamique inclusive, doivent toujours s’accompagner d’une nécessaire vigilance. L’inclusivité citoyenne n’est pas un état à décréter mais un processus, un chemin à construire pour chacun avec l’aide de son environnement, en partant de ses besoins et possibilités. Prenons-en acte, certaines personnes sont touchées par des handicaps trop importants pour accéder à une pleine au­tonomie, ceci quels que soient les moyens de compensation apportés dans la limite des connaissances du moment.

La majorité des personnes amputées des 4 membres ne pourront pas vivre ce que je vis. C’est une réalité…. On doit commencer par définir les vulnérabilités les plus importantes et ensuite légiférer. Et si moi, j’ai toujours voulu fuir les centres et les hôpitaux, nombre de mes camarades, plus timides, moins hardis, en fonction de leur histoire, de leur rapport à leur handicap et de leur personnalité, auront eux, besoin de ces lieux pour les accueillir et parfois les protéger.
Ryadh SALLEM /
Entrepreneur social, Fondateur de CAPSAAA, Athlète paralympique et « Ambassadeur Paris 2024 »

A l’école, un enfant de huit ans handicapé­sur dix se sentirait, d’après sa famille, mal ou très mal à l’aise dans son école ou son établissement. C’est trois fois plus que les écoliers du même âge sans handicap (Depp, 2013). Ce constat reste à comprendre et à exploiter. Quoi qu’il en soit, l’inclusion en classe ordinaire n’est quelquefois tout sim­plement pas possible ou non souhaitée par la famille aujourd’hui. Certains enfants, très lourdement handicapés, peuvent être en situation de souffrance à être à l’école à temps plein. L’enjeu est de reconnaître ces situations, d’y faire face et de rechercher des solutions adaptées et souples, en gardant toujours en tête le cap de la multiplicité des solutions : temps partiel à l’école, temps sur les récréations, assistance à temps plein ou non, possibilité d’alterner des temps à l’école et des temps en établissement spécialisé. Ou alors peut-on se prendre à rêver que l’école soit demain en capacité réelle d’accueillir tous les enfants, quelles que soient leurs situa­tions et cela dans des conditions confortables pour tous… une école non pas centrée prin­cipalement sur l’apprentissage, mais sur un accueil universel à vocation de socialisation, un lieu unique dédié à l’enfance sous toutes ses formes.

S’agissant de l’habitat, le ressenti de chaque personne handicapée est très différent et marqué. Certaines font de l’habitat autonome une revendication première et indissociable de leur citoyenneté, d’autres souhaitent plus de protection et un lieu collectif, sans penser que leur citoyenneté est remise en question. Chaque projet recherchera l’équilibre entre d’une part, la liberté individuelle et l’autono­mie de la personne en situation de handicap et d’autre part les besoins de sécurisation, protection et soins quotidiens. Des habitats collectifs bien insérés dans l’espace public, ou­verts, soucieux d’individualiser les solutions, en un mot « plus inclusifs », mais gérés par les acteurs du secteur du handicap et par une équipe professionnelle structurée, répondent également au souhait de certaines personnes handicapées.

Il en est de même dans le monde du travail. Le CDI en entreprise, qui représente encore « la norme » n’est pas une possibilité ni un souhait pour tous les salariés en situation de handicap. Le travail peut représenter une souffrance, un stress et engendre une fatiga­bilité plus grande pour une personne plus fra­gile. Comme pour l’école, certaines situations de handicap sont trop complexes pour que la personne s’épanouisse réellement dans un poste à temps plein en entreprise. Là encore, l’important est le respect du souhait de la per­sonne.

Enfin, la prise en compte des fragilités est pertinente au sujet de l’environnement des personnes handicapées. Cela concerne en particulier les proches aidants, pour lesquels l’inquiétude, l’isolement, la fatigue, le renonce­ment aux soins pour soi, peuvent entraîner un épuisement préjudiciable tant à eux-mêmes qu’aux proches aidés. Protéger un aidant, c’est quelquefois l’aider à sortir de ce rôle, partiellement ou complètement, et l’accompa­gner dans la transition vers une autre solution d’accompagnement de son proche handicapé. Celui-ci pourrait avec un relais assuré par des professionnels, accéder à une vie plus auto­nome et plus citoyenne. Rassurer, expliquer, proposer une alternative, temporaire ou défini­tive, sont autant d’actions qui permettront de trouver la solution adaptée à tous.

On est dans une société qui apprend à oser la différence et à s’en enrichir. Il y a eu le combat sur la libération des femmes, il y a eu le combat sur l’homosexualité, il y a eu le combat sur le handicap, il y a eu le combat sur le racisme, tout ça, on a grandi avec. Je veux dire, c’est une société qui s’est quand même oxygénée, qui a ouvert les fenêtres. On vient de loin quand même.
Laurent de CHERISEY /
Directeur général – Association Simon de Cyrène