Exiger la mise en capacité des services de droit commun

La question de l’accessibilité physique elle-même est loin d’être résolue. Elle est à défendre pour l’habitat en premier lieu, mais bien sûr pour tous les lieux de vie, et plus glo­balement à l’échelle des territoires de vie, en prenant en compte les trajets et déplacements.

Mais l’accessibilité dépasse la question du bâti. Elle concerne aussi les personnes en situation de handicap psychique, de défi­cience intellectuelle, de déficits sensoriels. Il s’agit de prendre conscience des difficultés de ces clients et usagers, de les accueillir, de leur apporter des réponses adaptées. C’est tout le mécanisme de l’accessibilité universelle et de la conception pour tous ; et nous n’en sommes qu’à ses débuts. Parfois pour convaincre il faut expliquer que l’accessibilité universelle profite à tous, aux personnes âgées, aux femmes en­ceintes, aux personnes avec une incapacité temporaire. Oui c’est juste, mais cela ne doit pas être la justification de tout. Même pour une seule personne handicapée, le lieu où le service peut être rendu accessible, sans né­cessairement imposer des règles trop strictes. Il suffit parfois d’un peu de bon sens.

Dans tous les secteurs d’activité appelés à recevoir du public, l’accueil des personnes en situation de handicap dans le cadre d’une « conception globale » permettant l’accessibi­lité à tous devra devenir l’une des bases uni­verselles de la compétence professionnelle. Des modules de formation sont à élaborer et à dispenser de manière généralisée, pour tous les métiers concernés.

La mise en capacité des services de droit com­mun est un programme de grande ampleur. S’il s’énonce simplement, il doit se traduire par la conception de solutions efficaces et adaptées à la diversité des situations, par des mises en oeuvre réalistes et progressives, par une véritable montée en compétences de tous les acteurs, toutes les structures et institutions de l’espace citoyen.

L’accessibilité de l’accueil physique ne se réduit pas au bâti mais doit aussi s’étendre aux personnes qui l’incarnent. Ces personnes doivent être sensibilisées et formées à l’accueil physique des personnes handicapées qui ne doit pas se résumer à les orienter vers les rampes d’accès ou les ascenseurs qui leur sont réservés.
Anne-Sarah KERTUDO /
Directrice de l'association DROIT PLURIEL

UNE ÉCOLE EN MESURE D’ACCUEILLIR LA DIVERSITÉ

L’exemple de l’école illustre à la fois la puis­sance et les limites de la démarche inclusive. Celle-ci exige des moyens d’accompagne­ment, de l’information, de la formation et du temps. L’Education nationale parle « d’adapta­tions aux besoins éducatifs particuliers », cela reflète bien l’ampleur de la tâche. L’école inclu­sive se confronte en effet à la complexité et à la diversité des situations. Décréter l’inclusion sans bien la préparer, cela met en difficulté les enfants en situation de handicap, censés alors s’adapter à un environnement qui leur est de fait peu accessible. Cela peut mettre tout autant en difficulté les parents, partagés entre le nécessaire accueil de leur enfant et les difficultés et souffrances réelles quotidiennes et les professionnels en exigeant de leur part des adaptations qui mettent leurs propres équilibres en danger, ou tout simplement en leur demandant des postures et pratiques pour lesquelles ils ne sont pas formés.

Ainsi, si le défi de l’accès à l’école est en passe d’être relevé, le chantier de son accessibilité au sens large reste ouvert. Il est nécessaire et urgent de trouver des réponses satisfaisantes pour tous les enfants aujourd’hui sans solu­tion ou accueillis à temps partiel, réponses qui permettront également de réduire l’impact sur l’activité professionnelle des parents. Il ne s’agit pas seulement d’intégrer un enfant handicapé dans la classe, mais bien de s’assu­rer qu’il est à sa place, qu’il apprend, qu’il pro­gresse au mieux de ses capacités, qu’il déve­loppe des liens sociaux. Pour cela des efforts importants restent à consentir sur le plan des formations, des moyens, des outils, de l’orga­nisation, bref d’une adaptation de la capacité globale du système éducatif à accueillir la diversité des besoins des enfants.

Enfin la question de l’école inclusive dépasse le strict cadre de la classe. Les accueils périscolaires, la cantine, les centres de loisirs, les stages sont des espaces de socialisation importants qui doivent aussi se mettre en capacité d’accueillir les enfants handicapés.

L’Education nationale a promu une démarche d’inclusion scolaire même s’il y a encore des progrès à faire. Le mouvement est enclenché et on va avoir dans les années qui viennent plus de 300 000 jeunes en situation de handicap qui vont sortir de l’école et arriver sur le marché du travail.
Gilles LENICE /
Délégué général - CHEOPS
On devine que les premiers à être éliminés dans la compétition scolaire, sont tous ceux qui se trouvent handicapés, au sens le plus large du terme, c’est-à-dire pénalisés par leur origine sociale, par les situations de handicap dans lesquelles ils se trouvent ou par les diverses difficultés qu’ils rencontrent dans leurs apprentissages, parce qu’ils sont trop éloignés de la norme scolaire qui, en France, est surdéterminée par des standards d’excellence, de rapidité et de performance.
José PUIG /
Directeur - INSHEA

ACCÉDER AUX SOINS

Le devoir d’accessibilité se décline avec une acuité particulière dans le domaine des soins. Personne ne devrait aujourd’hui se voir refoulé aux portes d’un cabinet médical, d’un intervenant paramédical, ou d’une institution hospitalière. La prise en compte adaptée des personnes handicapées est à envisager à tous les stades : prise de rendez-vous, accueil aux urgences, déroulement des consultations, transmission de l’information. Tous les inter­venants du soin, médicaux et paramédicaux, devraient posséder un minimum de familiari­sation et de formation sur les problématiques liées au handicap.

Pour cela des outils de communication, des formations, des outils et méthodologies adap­tées sont à créer et diffuser dans ce secteur. Des recensements, annuaires, plateformes d’intervenants accessibles sont à développer. En parallèle des équipes spécialisées peuvent intervenir en appui ou comme ressources complémentaires. Des équipements, services et compétences d’une MAS (Maison d’accueil spécialisée), par exemple, peuvent être mises à disposition pour des patients au-delà du cercle de ses résidents habituels. Les ser­vices d’urgence hospitaliers, peuvent être as­sistés par des ressources mobiles partagées.

L’accès aux soins soulève également la ques­tion très concrète de l’éloignement, les dépla­cements soulevant des difficultés accrues pour nombre de personnes handicapées.

Si l’accessibilité des soins dans leur lieu d’exercice ordinaire est une nécessité, les solutions qui permettent de rapprocher les soins des patients sur leurs lieux de vie doivent être encouragées : elles minimisent les rup­tures et favorisent les échanges entre accom­pagnants et soignants. Les équipes mobiles de prévention ou de soin, l’hospitalisation à domicile, la télémédecine, la téléassistance, le développement de la domotique au domicile (et dans les lieux publics), qui permettent de rap­procher les ressources spécialisées des lieux de vie sont à développer. Ces approches sont particulièrement importantes pour les per­sonnes vieillissantes, permettant de médica­liser leurs lieux de vie jusqu’à un certain point, de les adapter à leur niveau d’autonomie et ain­si de favoriser le maintien au domicile lorsque c’est le souhait de la personne handicapée.

Il ne faut pas non plus négliger les femmes en situation de handicap qui subissent encore trop souvent des examens médicaux traumatisants.

L’impact de la loi de 2005 est double et s’inscrit dans le court et le long terme. Le court terme, c’est l’augmentation spectaculaire de la scolarisation en milieu ordinaire des jeunes en situation de handicap. Le long terme, c’est l’apprivoisement progressif de toute une génération d’élèves par la proximité quotidienne avec des jeunes différemment constitués.
Hélène LEGAULT de COMPIEGNE /
Cheffe du service Handicap - ONISEP
Aujourd’hui, 100 % des universités françaises disposent d’une structure handicap (mission, pôle, cellule, etc.) avec des personnels qualifiés dont le coeur de métier est d’accueillir et d’accompagner les étudiants handicapés dans leur parcours de formation, de façon anticipée avant leur arrivée jusqu’à l’insertion professionnelle. 91% des jeunes handicapés qui font des études supérieures choisissent l’université.
Fabienne RAKITIC /
Coordinatrice de la mission handicap au sein du Service de la vie universitaire - Université de Strasbourg

L’aboutissement du vivre ensemble, c’est la mise en oeuvre effective des droits du citoyen, le respect du principe d’accessibilité univer­selle permettant d’accueillir notamment les personnes en situation de handicap.

L’adaptation de la société et la mise en place de moyens de compensation ne constituent pas une discrimination positive : ils découlent d’un impératif légal et sociétal. Cet impératif est cependant très inégalement mis en oeuvre dans la réalité quotidienne.

Toutes les structures sociales que nous utili­sons au quotidien sont concernées : crèches, écoles, centres de loisirs, associations cultu­relles et sportives, médiathèques et salles de spectacles, immeubles de logement, lieux et séjours de vacances, commerces, gares et transports en commun, commissariats, ca­binets d’avocats, tribunaux, partis politiques, entreprises, bureaux de poste, mairies, bu­reaux administratifs, médecins, hôpitaux… Tous ces lieux, toutes ces structures sont-ils en capacité d’accueillir les personnes dont l’autonomie n’est pas complète, de prendre en compte leurs besoins, de leur fournir des ser­vices sur un pied d’égalité ? La norme à pro­mouvoir est celle de services de droit commun accessibles à tous les handicaps.

Aussi pensons-nous pertinent d’instaurer des Entretiens sur le handicap, à l’instar de ceux de Bichat en médecine, pour faire un point régulier sur les grandes avancées des savoirs et des pratiques en ce domaine En suscitant des échanges entre les champs disciplinaires, ils permettraient d’assurer une impulsion scientifique ; de confronter les travaux et recherches ; d’interroger les concepts, contextes, pratiques, dispositifs, politiques ou innovations et de les mutualiser ; de diffuser des savoirs actualisés.
Charles GARDOU /
Anthropologue, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, Directeur de la Collection Connaissances de la diversité (érès), Responsable scientifique “Référent handicap” Extrait de « Handicap, une encyclopédie des savoirs. Des Obscurantismes à de Nouvelles Lumières »